Histoire des ateliers

L’Atelier Tabard

L’Atelier Tabard, du fait de sa grande longévité, est le reflet des évolutions de la production aubussonnaise de tapisseries. Delphine Quéreux le souligne dans sa thèse: "(…) à travers l’histoire de l’atelier Tabard, (…) c’est l’ensemble de l’histoire de l’industrie de la tapisserie qui transparaît : les débats esthétiques qui agitent Aubusson, mais aussi l’organisation de la production, très artisanale, ainsi que la vente."

Bien que l’histoire familiale et professionnelle des Tabard s’inscrive dans la longue durée, c’est la troisième génération, représentée par François Tabard, qui a marqué de façon durable la production aubussonnaise de tapisserie.

François Tabard, un entrepreneur de premier plan dans la rénovation du XXe siècle

1937 constitue une année charnière pour l’Atelier Tabard : c’est le moment de la rencontre avec Jean Lurçat, qui va permettre de renouveler la production à une période où Aubusson prend conscience qu’un effort esthétique doit être fait pour relancer les ventes. Il ne suffit plus de produire des copies d’anciens mais de créer de nouveaux modèles.

Avec le carton Moissons, pour lequel Jean Lurçat met au point le principe du carton numéroté, une collaboration étroite et régulière, bien que non exclusive, commence. L'artiste devient rapidement le principal collaborateur de l’Atelier Tabard, jusqu’à sa mort en 1966 : il est l’auteur de près de la moitié des 4500 panneaux modernes fabriqués entre 1935 et 1983.

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, François Tabard prend la décision d’orienter toute la production vers la tapisserie moderne. Pour appuyer cette nouvelle orientation, il intervient en faveur de la création d’un atelier-école à Aubusson dans le but de former des professionnels spécialisés dans ce type de tapisseries reprenant les formules simples du Moyen Âge. En 1950, cet établissement sera fusionné avec l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville.

L’Atelier Tabard, porteur d’une vision moderniste pour Aubusson

L’Atelier Tabard a fait preuve d’un grand activisme au niveau local pour unir la profession. En 1933, une chambre syndicale des fabricants de tapisseries est créée, dont la présidence est confiée à François Tabard. Également Président de la Chambre de Commerce de Guéret, il devient le porte-parole de l’industrie de la tapisserie auprès des pouvoirs publics.

Parallèlement à cela, l’Atelier Tabard a su renouveler les méthodes de travail pour faciliter l’insertion d’Aubusson dans de nouveaux circuits commerciaux, essentiellement basés sur l’artiste et la galerie. La galerie est, selon les cas, un simple intermédiaire de vente, à l’instar de La Demeure de Denise Majorel, ou éditeur de la tapisserie comme la Galerie Denise René. Cette dernière, en exclusivité avec l’Atelier Tabard, édite, pendant plus de 20 ans, des noms prestigieux de l’art contemporain comme Victor Vasarely, Jean Arp ou Sonia Delaunay.

Avec Victor Vasarely, l’Atelier Tabard développe le principe du carton photographique, une révolution dans les méthodes de travail aubussonnaises. Ces évolutions modifient profondément les relations entre l’artiste et le fabricant. Ce dernier doit assumer un rôle nouveau de collaborateur de créateur alors qu’il est en partie dépossédé de sa traditionnelle activité commerciale.

Une solidarité familiale très forte au fondement de l’entreprise

Les Tabard sont une très vieille famille de tapissiers : dès 1637, des membres de la famille se dédient à la production de tapisserie. Cependant, ce n’est qu’en 1869 que François Tabard, le grand-père, crée son atelier, duquel sort une production de second ordre. Son fils, Léon, qui reprend l’entreprise familiale, installée à La Terrade à partir de la fin du XIXe siècle, se fait déjà le porteur d’une volonté modernisatrice. Étant donnée la difficulté de trouver des créateurs, il s’est appuyé sur le dessinateur de l’atelier, Élie Maingonnat, lui aussi défenseur d’une vision moderne de la tapisserie et qui deviendra le Directeur de l’ENAD d’Aubusson, succédant à Antoine-Marius Martin.

Bien que l’on retienne généralement le nom de François Tabard, Léon avait cédé l’entreprise familiale à ses quatre enfants, dont les rôles sont toujours restés les mêmes : Clémence s’occupait de la comptabilité et des écritures, Paul des teintures et des ateliers, Marie-Antoinette des activités de restauration et François de la prospection commerciale. Léon Tabard a ainsi posé les structures qui ont permis à son fils François de participer activement au renouveau de la tapisserie d’Aubusson dans la deuxième moitié du XXe siècle. En l’absence de descendance et de repreneur, l’Atelier Tabard a définitivement fermé en 1983.

L’histoire de l’Atelier Tabard est le reflet de la situation générale de l’industrie de la tapisserie aubussonnaise, notamment sa difficulté à trouver de bons modèles – malgré des périodes de grandes réalisations – et sa perméabilité aux phénomènes de mode, qui tend à entraîner des crises au moment des nécessaires reconversions.

Texte d'après Delphine Quéreux, "Les Tabard, fabricants de tapisserie à Aubusson de 1869 à 1983", Paris : École Nationale des Chartes (3 vol., 704 p. et un volume n.p.). Disponible en consultation au Centre de documentation de la Cité de la tapisserie.