Un musée innovant

Une collection de référence

La Cité internationale de la tapisserie a pour mission de conserver, enrichir et mettre en valeur ce grand savoir-faire. Avec un projet scientifique et culturel renouvelé, elle construit une collection de référence permettant de retracer cinq siècles et demi de production en Aubusson.

La collection, propriété du Conseil Départemental de la Creuse, est récente à l’échelle de l’histoire des musées de France. C’est une collection encore jeune, développée depuis moins de 35 ans.

Dès l'origine, le musée a bénéficié du Fonds Régional pour l’Acquisition des Musées mis en place en 1982. Après 30 ans d’enrichissement des fonds par dons, dépôts ou surtout achats, le plus souvent soutenus par le FRAM, la collection aujourd’hui confiée en gestion à la Cité internationale de la tapisserie possède de belles forces. Cependant, certaines périodes sont particulièrement lacunaires du fait de sa jeunesse.

Le XVIIe siècle est bien représenté avec des sujets iconographiques à la mode, qu’ils soient d’origine mythologique (Didon et Enée), littéraire (par exemple, la tenture de Renaud et Armide inspirée par le roman épique La Jérusalem délivrée), ou religieuse (Saint-François d’Assise), avec des artistes diffusés par l’estampe ou attachés à fournir des modèles pour la tapisserie (Isaac Moillon, Simon Vouet, Claude Vignon, etc.).

De même, le courant des peintres cartonniers et la Rénovation de la tapisserie au XXe siècle (Jean Lurçat et ses suiveurs) constitue un point fort de la collection.

En revanche, on remarque par exemple une faible représentation des XV et XVIe siècles ainsi que de la production de tapis et de tapisseries au XIXe siècle.

La mise en place progressive d’une collection de référence

Le constat de la faible représentation de certaines périodes ou de certaines productions en tapisserie d’Aubusson a mis en évidence la nécessité de réaffirmer l'intention originelle d'André Chandernagor, à l’origine du projet de musée en 1981, de construire une collection de référence offrant un panorama complet de la production aubussonnaise du XVe siècle à nos jours.

Un programme raisonné d’acquisitions a été adopté et a notamment permis l’entrée dans les collections de la Millefleurs à la licorne, la plus ancienne des tapisseries marchoises connues à ce jour.

Concernant la tapisserie contemporaine, le Fonds contemporain s'enrichit chaque année grâce aux œuvres lauréates des appels à création de la Cité de la tapisserie.

Des pièces d’une grande diversité

Le chantier des collections, organisé à partir de 2013, a mis en évidence la variété des collections de la Cité internationale de la tapisserie et de l’ENAD d’Aubusson : tapisseries, tapis, maquettes, cartons, broderie sarrasine, etc. Le chantier des cartons de la collection (environ 15 000 pièces) débutera après l'ouverture de la Cité et durera environ 5 ans.

Ces collections vont encore s'enrichir. Un projet est en cours avec le Conseil Départemental du Lot (Atelier-Musée Jean-Lurçat à Saint-Céré) pour le partage et la valorisation conjointe des cartons de Jean Lurçat, légués en indivision aux deux collectivités par sa veuve en 2009. 

Les collections en chiffres

440 tapisseries et tapis, dont 330 tapisseries murales (Musée + ENAD).

16 000 œuvres d’art graphique (dont environ 4500 maquettes ou dessins)

50 pièces de mobilier tissé

20 pièces d'outils et de matériel de tissage divers

5 000 pièces tissées en dépôt de l’ENAD (formats moyens, échantillons d’apprentissage).

600 pièces de broderie sarrasine, réalisées par les élèves de l’École de Jeunes Filles de l’ENAD entre 1880 et 1918.

Un musée innovant

Historique

Entre la première évocation d'un musée à Aubusson et l'inauguration du musée de la tapisserie au sein du Centre culturel Jean-Lurçat, près d'un siècle se sera écoulé. La Cité internationale de la tapisserie poursuit cet héritage avec son nouveau musée dont l'ouverture est prévue à l'été 2016.

L'échec d'un premier musée

Encouragé par les principaux industriels de la tapisserie et du tapis, un premier musée est construit par l’architecte Albert Mazet sur le site des ruines médiévales du Chapitre, sur les hauteurs d'Aubusson, et inauguré le 5 octobre 1885.

Ce musée est créé en regard de l’ouverture de l’École Nationale d’Arts Décoratifs d’Aubusson, en 1884. Il est porté par Auguste Louvrier de Lajolais, directeur unique des trois écoles nationales des Arts décoratifs de l’époque (Paris, Aubusson et Limoges), qui définit un programme muséographique centré sur la tapisserie et sa production, à la croisée du musée des Beaux-Arts et du musée industriel et qui vient en complémentarité de l'École.

Pourtant, la dynamique autour de ce musée retombe relativement vite. L'Inspection des musées note d'ailleurs dès 1920 l'état catastrophique des œuvres conservées. Le bâtiment se dégradant trop rapidement et faute de moyens, la commune décide de transférer la collection à la mairie et le musée est détruit vers 1935.

La création du Centre culturel Jean-Lurçat (CCAJL)

Ce n’est qu’en 1978 que la construction d’un nouveau musée est décidée, sous l’impulsion d’André Chandernagor, ancien Ministre des Affaires européennes. Il s’agit alors de concevoir un projet culturel complet et ambitieux eu égard à la taille de la ville : réunir en un lieu unique musée, théâtre (qui deviendra "Scène nationale"), médiathèque, salle audiovisuelle équipée, studio son, imprimerie et café-musique.

Ouvert sans collections propres en 1982, le musée retrace les six siècles de l’histoire tissée d’Aubusson-Felletin avec près de 330 tapisseries.

La multiplicité des fonctions du Centre culturel et le développement des collections du musée posent aujourd'hui un problème de place et, 30 ans après son ouverture, un projet d'agrandissement indispensable au sein de la Cité internationale de la tapisserie se met en place.

Le musée au sein de la Cité

L'inscription des savoir-faire et techniques de la tapisserie d'Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2009 a favorisé le lancement du projet de Cité internationale de la tapisserie. Depuis le 1er janvier 2011, la gestion du musée de la tapisserie et de ses collections, propriété du Conseil départemental de la Creuse, est déléguée au Syndicat mixte de la Cité internationale de la tapisserie. Un musée étendu au sein de la Cité, dont toutes les fonctions seront implantées sur le site de l'ancienne École Nationale d'Art Décoratif d'Aubusson, entièrement réhabilitée à cet effet, permet de développer le nouveau projet scientifique et culturel (ouverture été 2016) et, notamment, de mettre en lumière les savoir-faire d'Aubusson et leur transmission.

Un musée innovant

Un parcours d'exposition inédit

Le nouveau parcours d’exposition de la Cité internationale de la tapisserie occupe environ 1200 m2. La scénographie en trois espaces est signée Frédérique Paoletti et Catherine Rouland. Elle est complétée par une plateforme de création contemporaine.

Tapisseries du monde

Cette première salle est consacrée aux expressions textiles de différentes régions du monde pour montrer l’universalité des techniques de tissage. Les textiles présentés proviennent des collections de prestigieuses institutions parisiennes et de province.

Les pièces sont généralement regroupées en cinq aires géographiques : Amérique du Sud, Amérique du Nord, Maghreb, Delta du Nil, Proche-Orient et Asie au sens large (Asie centrale, Inde, Chine, Indonésie, Japon). Cette section d’exposition fonctionne comme un contre-point à la labellisation Unesco : la tapisserie d’Aubusson s’inscrit au sein d’une technique textile universelle, employée par presque tous les peuples de la planète à un moment de leur histoire.

Les Mains d'Aubusson

Cet espace dédié aux savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson met en relief ce que recouvre le label Patrimoine culturel immatériel de l’humanité décerné par l’Unesco, en particulier le fait que la production aubussonnaise est définie par l’idée de tapisserie à 4 mains : une tapisserie d'interprétation, née de la rencontre entre un projet artistique porté par un créateur et un savoir-faire détenu par un artisan d'art.

Des documents iconographiques et audiovisuels sur tablettes ainsi que des objets présentent tous les savoir-faire. Le visiteur peut réaliser sa propre tapisserie sur table tactile grâce un serious game de tissage. Des objets et documents audiovisuels racontent le quotidien de la communauté professionnelle de la tapisserie d’Aubusson – des filateurs aux restaurateurs – maintenue complète depuis six siècles. Toutes les productions sont représentées : tapisseries murales, tapis d’Aubusson, tapis de haute-lisse, broderie sarrasine, tapisserie à l’aiguille, moquette mécanique, etc.

La Nef des tentures

Espace phare du nouveau parcours d’exposition, la Nef des tentures est une invitation à voyager au fil de six siècles de production en tapisserie d’Aubusson. Parcours chronologique aux dimensions dignes du gigantisme des tapisseries, cet espace de 600 m2 et de 7 m de hauteur en finit avec la présentation traditionnelle des tapisseries sur le modèle d’une galerie de peintures. La scénographie évoque, grâce à des décors en trompe-l’œil inspirés du théâtre, leur époque d’origine pour une véritable immersion dans l’univers tissé d’Aubusson.

Le parcours est chronologique et la présentation est entièrement modulable. De nombreuses informations sont apportées sur la façon dont sont fabriquées les tapisseries, en écho à la section précédente consacrée aux métiers.

Tout au long de la Nef, des tablettes multimédia sont à disposition des visiteurs pour zoomer sur des caractéristiques techniques de différentes tapisseries. Cette lecture technique des tapisseries est à la fois poussée et pédagogique. Elle fait le lien avec l’inscription des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.

Le renouveau contemporain avec la plate-forme de création

Concrétisant les fonctions de recherche, de prospective et d'ouverture à la création contemporaine de la Cité, cet espace expérimental met en avant les créations originales issues notamment de l’appel à création annuel de la Cité, poursuivant le parcours permanent en un "espace XXI" en mouvement. Depuis octobre 2020, cet espace est dédié au projet "L'imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d'Aubusson".

Pour prolonger la visite, un programme d'activités autour des savoir-faire d'Aubusson

Le musée propose des démonstrations de tissage et de restauration dans les espaces professionnels. Ces espaces professionnels permettent à des ateliers privés de réaliser des tissages de grande envergure sur un métier à tisser de 8 mètres de long. 

Les savoir-faire d'Aubusson

Un réseau de création textile

Broderie sarrasine, tapisserie au point, tapisserie numérique, tapis tufté, création laine et feutre, design textile… À la communauté professionnelle "tapisserie d’Aubusson" s’ajoutent d’autres acteurs textiles qui, avec la présence de galeries spécialisées et d'espaces d'exposition, viennent appuyer le domaine art textile / art tissé à Aubusson.

La présence d'une communauté professionnelle directement reliée à l'acitivité de la tapisserie à Aubusson-Felletin stimule l'installation d'autres acteurs du secteur du luxe, des métiers d’art, de la création et de l’édition textile.

La dimension art textile / art tissé à Aubusson, c'est aussi de la tapisserie mécanique plébiscitée par de nombreux architectes et décorateurs, de la tapisserie à l'aiguille (ou tapisserie au point, sur canevas), de la broderie sarrasine (broderie mise au point à Aubusson à la fin du XIXe siècle), des studios de designers textiles, des ateliers réalisant du tapis tufté, des ateliers de création en feutre de laine, des espaces d'exposition spécialisés en art textile / art tissé.

 

Pour aller plus loin

Découvrez tous les acteurs arts textiles dans la région d'Aubusson-Felletin sur la carte des professionnels.

Les savoir-faire d'Aubusson

La restauration de cartons

La restauration et l'étude des cartons anciens est indispensable à la compréhension de la production de tapisseries au cours des siècles.

Une tapisserie ne pouvait pas être tissée sans l'intervention d'un peintre-cartonnier qui réalisait le modèle de la pièce à tisser. Longtemps considérés comme de simples outils, les cartons peints prennent peu à peu leur place dans l'histoire de l'art. La restauration des modèles anciens est une façon de remettre en avant le travail de ces artistes spécialisés. La prise en compte des cartons de tapisserie dans les collections est une des clés de la production de connaissances sur la tapisserie et ses savoir-faire. Le phénomène de l'interprétation peut par exemple s'étudier à travers l'évolution de l'œuvre, de la maquette de l'artiste au carton de tapisserie puis à l'œuvre tissée.

Le carton, placé sous les fils de chaîne pour guider le lissier tout au long du tissage, subit des dégradations dues à son utilisation répétée : trous d'épingle, annotations et indications pour le tissage, etc. Les cartons anciens ont même parfois été découpés pour prélever un élément de décor ou des personnages, devenant des pochoirs pour reporter ces motifs sur de nouvelles créations.
De la même façon que pour les tableaux, la conservation et la restauration des cartons anciens, souvent redécouverts au hasard dans les greniers creusois, nécessitent l’intervention de restaurateurs experts, généralement diplômés d’écoles d’art et expérimentés dans le domaine des objets de collection.

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La restauration de tapisserie

La tapisserie a vocation à durer dans le temps et cela nécessite souvent l'intervention d'experts de la restauration ou de la conservation. Ces étapes de la vie d'une tapisserie sont sans doute les plus méconnues. Pourtant, elles seules peuvent garantir la sauvegarde d'un patrimoine textile ancien et il est souvent conseillé de faire appel aux restaurateurs pour l'entretien régulier d'œuvres plus récentes.

Les altérations des textiles sont dues à plusieurs causes : les écarts d’humidité et de température, l’exposition aux ultra-violets et à un éclairage inadapté, une mauvaise suspension ou un mauvais conditionnement de l’œuvre, la présence d’insectes... La fibre devient cassante, on aperçoit des manques, des fils brûlés, des disparitions de relais (les coutures de finition pour réparer les interruptions de tissage nécessaires entre deux couleurs différentes), une perte des couleurs ou des moisissures.

Le restaurateur donne une nouvelle jeunesse ou rend toute leur cohérence esthétique à des tapisseries murales et de mobilier, des tapis d’Aubusson tissés à la main et tout type de tapisseries et tapis au point (canevas), en les nettoyant, en ravivant leurs couleurs, parfois en retissant les parties détériorées. Par des travaux de conservation préventive, il est le garant de la pérennité de la tapisserie.

Ce technicien d’art confirmé est spécialiste des textiles anciens et sait parfaitement comment aborder les opérations de nettoyage, de détissage/retissage. Il est le spécialiste de la rentraiture, c'est-à-dire la reconstitution à l’aiguille de la chaîne ou de la trame sur des parties usées, détruites ou coupées. Il peut rénover ou même rattraper des réparations très anciennes, mal réalisées ou avec des colorants instables.

Selon l’état de l’œuvre, les souhaits émis par le propriétaire et les avis du restaurateur, le choix se portera soit vers une restauration complète, c'est-à-dire que l'on va retisser la partie altérée en privilégiant l’aspect esthétique, ou vers la conservation, pour laquelle on se contentera de traitements destinés à arrêter les dégradations, privilégiant alors l’authenticité et le caractère historique d’une œuvre.

Les ateliers de restauration à Aubusson proposent une expertise en matière de traitement et de conservation textile. Véritables laboratoires, ils fonctionnent grâce à un personnel expérimenté, aux savoir-faire de précision.

Le pôle professionnel de la Cité internationale de la tapisserie accueille l'atelier de restauration du Mobilier national, l'un des deux ateliers de restauration de tapisseries publics en France (l'atelier sera accessible aux visites de groupes sur rendez-vous).

Les savoir-faire d'Aubusson

Le tissage de basse lisse

La tâche du lissier est de "mettre en laine" l’œuvre de l’artiste. Cet artisan d'art allie compétences techniques (les gestes artisanaux du tissage) et artistiques, mises en œuvre dans la "traduction textile", l’interprétation par la recherche des combinaisons de fibres et de couleurs. Ce "harpiste", comme l'appelait Jean Cocteau, jongle avec ces deux arts, pour offrir une œuvre où matière, chaleur, contraste, texture et variation jouent sur l’imaginaire et les émotions.

Le lissier est l'artisan tapissier qui exécute le tissage sur un métier à tisser. Son nom provient du terme "lisse", qui désigne une cordelette fixée sur un fil de chaîne pour le relier à une "marche" (pédale) actionnée avec le pied pour écarter les fils pairs et impairs de la chaîne, ce qui permet de passer les fils de trame (une tapisserie étant réalisée par le recouvrement total d'une chaîne par une trame) à l'aide d'une flûte, généralement en bois.

Sur le métier de basse lisse, horizontal, le lissier tisse sur l'envers de la future tapisserie, il ne peut vérifier son travail que partiellement (la tapisserie est enroulée au fur et à mesure de la progression), en plaçant un miroir entre les fils de chaîne du métier et le carton qui guide le tissage. La tapisserie d'Aubusson garde ainsi son mystère tout au long du tissage. Le lissier lui-même, ainsi que l'artiste, ne découvrent leur œuvre dans sa totalité qu'au moment où ils coupent les fils de chaîne pour libérer la tapisserie au cours de la "tombée de métier". Reste la phase de finition avec la couture des bords et des relais, les interruptions de tissage dues aux changements de couleurs.

En parallèle de la maîtrise des gestes du tissage, le lissier doit être capable de dialoguer avec le créateur du modèle, afin de faire les meilleures propositions techniques et d'interpréter au mieux la maquette à l'étape de la conception du carton de la future œuvre tissée. L’artiste propose, en guise de maquettes, ses propres créations, aux formats les plus divers. À partir de la maquette, le lissier pratique des essais de tissage, il effectue des recherches sur les matières, les couleurs, etc., et fait des propositions d'interprétation à l'artiste. Il faut ensuite réaliser des dessins préparatoires à l’échelle de la tapisserie pour obtenir le "carton", reproduction inversée gauche / droite de la maquette (pour le travail sur l'envers de la tapisserie) qui aidera le lissier à se repérer pendant la réalisation. 

Si la laine et la soie restent les matières de prédilection de la tapisserie, aujourd'hui toutes les expérimentations de matériaux et d'usages sont imaginables. La seule nécessité étant que ces matériaux restent "tissables" (vitraux-tapisseries métalliques, fibre optique...).

Au-delà du choix des couleurs et des matériaux, l'artisan tapissier peut intervenir au niveau des variations de tissage, transposant et interprétant l’intention de l’artiste. Contrairement au tissage mécanique, le tissage manuel sur métier de basse lisse autorise un nombre de couleurs infini et permet au lissier d’ajuster son geste en permanence. La technique de la tapisserie d’Aubusson peut ainsi produire une grande diversité d’effets et de textures dans une même production.

LE DUO ARTISTE-LISSIER, UNE TRADITION AUBUSSONNAISE

La relation, traditionnelle à Aubusson, entre l’artiste, concepteur du modèle à tisser, et le lissier interprète, est le gage d’une production de qualité. Aubusson a toujours été le lieu du dialogue entre le geste et la création la plus contemporaine. Les tapisseries sont des œuvres à quatre mains, deux signatures, fruit de la collaboration étroite entre un lissier artisan d’art et un créateur, qu’il soit peintre, plasticien, designer, architecte ou décorateur.

« Tout est une question de justes rapports et d’honnêteté, non pas de compétition vaniteuse, mais de respect mutuel pour le plus grand profit d’une œuvre commune, telles ont été les collaborations des ateliers Tabard avec Mathieu Matégot, des ateliers Goubely avec Mario Prassinos et Michel Tourlière, ceux de Legoueix avec Louis-Marie Jullien, de Picaud avec Émile Gilioli (entre autres). »

Jean Lurçat

Le travail d’interprétation textile de l’œuvre de l’artiste est l’expression du savoir-faire du lissier, tant à travers sa technique que par sa sensibilité et sa compréhension de l'intention artistique. L’excellence d’une tapisserie est faite de la réussite de cette relation entre le créateur s’exprimant avec son propre medium et le lissier qui en imagine l’écriture tissée.

Ainsi, dès le XVIIe siècle, la création contemporaine a irrigué les productions d’Aubusson, tentures murales, mobilier et même accessoires de mode. Les ateliers de la région d'Aubusson ont été stimulés par l’apport d’artistes de renom, venus faire tisser des maquettes originales. C’est ainsi que l’on retrouve dans les collections les signatures les plus prestigieuses de leur temps, d’Isaac Moillon à Garouste, en passant par Picasso, Léger, Cocteau, Vasarely, ou encore Le Corbusier…

Les savoir-faire d'Aubusson

Teinture sur mesure

À l’opposé des procédés industriels de teinture, l’artisan teinturier travaille à la main, utilisant la trichromie visuelle : il crée la nuance désirée en ajoutant progressivement par petites doses les pigments en poudre des couleurs primaires (bleu, jaune et rouge), sans aucune machine.

À Aubusson, le teinturier mène une véritable recherche de nuances qu’il produit en petites quantités. Cette petite production de teintes très spécifiques correspond aux besoins de la tapisserie de basse lisse.

Dans le cas où l’artiste numérote son carton d’après une gamme de laines déjà teintes, le travail du teinturier est facilité. Sa nouvelle teinture sera exécutée sur un support (laine) égal à l’échantillon de base.
Mais lorsque l’artiste fournit un échantillon couleur sur papier ou toile, la tâche du teinturier est plus délicate. Il devra mesurer le décalage entre une couleur (gouache ou huile) et un produit de teinture sur un support laine.

On parle même de "coloriste", tant la précision du teinturier lui permet de reproduire exactement la teinte recherchée par le lissier ou l’artiste.
Conformément à l’exigence de la création artistique, le coloriste peut proposer une palette de teintes presque infinie, réalisées à partir de seulement trois pigments de couleurs primaires : le bleu, le rouge et le jaune.
L’artisan ne se fie qu’à son œil, à son expérience des réactions chimiques et à ses gestes sûrs pour obtenir les couleurs désirées. Il est le seul juge des ajouts de colorants, par petites touches, et des temps de "cuisson" ; son expertise doit garantir la durabilité de la couleur dans le temps.

On trouve parfois des ateliers de teinture au sein des grandes manufactures de tapisserie, mais la plupart des ateliers font appel à un artisan teinturier ou à une filature disposant d'un atelier de teinture.

Les savoir-faire d'Aubusson

"Penser laine": le cartonnier

Les cartonniers sont les maîtres du langage graphique de la tapisserie. Il exécutent le "carton" qui constitue le support de travail des lissiers : il s'agit d'un modèle, l'œuvre d'un artiste adaptée aux dimensions de la future tapisserie – qu'elle soit murale, au sol ou d'ameublement. Glissé sous les fils de chaîne du métier à tisser, il guide l'artisan tout au long du tissage.

"Pour ancienne qu’elle soit, je doute que l’on puisse changer la technique du licier non plus que les métiers à tisser [...] mais les peintres, eux, peuvent varier le style dans la création des cartons, la forme, le sujet, les coloris. [...] Les époques qui ont augmenté le nombre de coloris dans une seule tenture, n’ont pas pour cela augmenté leur richesse. Aujourd’hui, le dépouillement excessif qui vise à la simplicité, risque de nous amener à une pauvreté qui n’est rachetée que par l’apport de la matière tissée, mais sans tirer avantage des vibrations colorées et des valeurs veloutées et chaudes de la laine. Ceci demande une écriture particulière [...] qui n’est à aucun moment, ni une peinture murale, ni un tableau de chevalet agrandi. [...] Et, si le licier collabore à l’établissement d’une œuvre, il faut que la collaboration soit complète, et que le peintre pense "laine", c’est-à-dire que son carton soit conçu exclusivement dans ce but et ne puisse pas être exécuté autrement qu’avec cette matière et qu’il tire le maximum de ce que peuvent lui apporter ses magnifiques qualités."

Louis-Marie JULLIEN (1904-1982).

À l'origine, les peintres fournissent des modèles sous forme d'huiles ou de gouaches, ou encore de peintures en grisaille, laissant au soin des ateliers l'adaptation de la maquette aux dimensions de la tapisseries.

Les peintre-cartonniers transforment une maquette en carton, à l'échelle de la future tapisserie, inversé gauche/droite pour correspondre au tissage sur l'envers. C'est une réécriture de l'œuvre originale adaptée aux spécificités de la technique de la tapisserie, qui donnera des indications de tissage au lissier. Ce travail préparatoire à la tapisserie peut être considéré comme un simple outil que l'on jette s'il est abîmé à force d’être accroché sous le métier, après avoir refait une copie "propre".

Le XXe siècle a transformé la façon d'envisager le carton. La rénovation de la tapisserie initiée par l'École Nationale d'Arts Décoratifs d'Aubusson, puis par Jean Lurçat, a modifié la méthode d'élaboration des cartons. Cela a permis à de nombreux artistes de se former à l'écriture du carton, devenant ainsi de véritables "peintres-cartonniers" intégrant la matérialité de la laine dans leur processus de création et se distinguant des peintres qui créaient seulement une maquette en petit format. À partir des années 1980, du rang de simple modèle, le carton a parfois pris le statut d’œuvre artistique. Certaines ventes publiques ont reflété cette évolution avec des cartons dont le prix de vente dépassait parfois leur double tissé.

En fonction du type de maquette et de la volonté de l'artiste, de la méthode de travail, de la taille et des effectifs des ateliers, si la personne réalisant le carton effectue elle-même le tissage ou non, etc., cette traduction en vue d'une "mise en laine" varie beaucoup. Le carton peut être plus ou moins éloigné de l'œuvre originale, d'un simple agrandissement à l'échelle de la tapisserie avec quelques indications, transcription fidèle de l'image modèle et de ses couleurs telles que les a conçues l'artiste, à une traduction complète de l'œuvre, dont les variations, dégradés, etc., sont transposés en codes graphiques indiquant des techniques de tissage particulières, et les couleurs peuvent être remplacées par des numéros. Chaque numéro correspond alors à une couleur de laine provenant de l'assortiment en chapelet obtenu grâce aux recherches d'un coloriste.

Aujourd'hui, même si les cartonniers restent d'habiles dessinateurs, la plupart des cartons sont réalisés au moyen d'impressions numériques ou de tirages photographiques.

Les savoir-faire d'Aubusson

Filer la laine

Le rôle du filateur est de sélectionner les laines les mieux adaptées au tissage, pour fabriquer un fil correspondant aux exigences de qualité de la tapisserie d’Aubusson.

La filature artisanale convient très bien aux petites commandes de métiers d’art comme celui des lissiers : la grosseur du fil est adaptée à l'utilisation en tapisserie (25 à 26 microns).

La laine provient parfois de Nouvelle-Zélande et d’Australie, mais pour certaines réalisations spécifiques, pour correspondre au mieux à la demande du lissier, le filateur pourra préférer les produits d'un lainier français. La Creuse et le Limousin en général font figure de territoire historique d’élevage ovin. Les éleveurs et artisans lainiers s'intègrent toujours dans cette filière.

La première étape du filage est le cardage, où la laine est démêlée en passant dans les tambours de la carde. Garnie de très fines pointes d'acier et tournant à grande vitesse, la carde permet de diviser et paralléliser les fibres de laine. Suivant la taille de la fibre et la destination du fil, la laine est directement filée à la sortie de la carde ou, dans le cas de laines très fines, à nouveau peignée.

On obtient alors les mèches et les rubans de laine qui seront transformés en fils. Il s'agit de les étirer sur les métiers à filer pour les affiner progressivement. À cette étape, le fil obtenu n'est pas solide et peut-être déchiré simplement en tirant dessus. C'est la torsion que le fil subit ensuite avec un ou deux autres brins qui permet d'améliorer sa résistance et de le rendre plus régulier (les fils retors).

Fin, assez élastique et retors, le fil obtenu est généralement blanc ou écru (sauf dans le cas de laines naturellement brunes ou noires) et peut alors passer au bain de teinture.